Note juridique – 31 mai 2023
Jérémy : une procédure inéquitable, des preuves illégales, trois mois de détention
Jérémy est en détention depuis le 15 mars 2023. Il est accusé d’avoir endommagé plusieurs véhicules sur un chantier de l’entreprise Holcim, dans la campagne genevoise, dans une nuit de début janvier 2022.
L’étude du dossier de la procédure démontre que cette détention est fondée sur un enchainement de preuves récoltées illégalement, parfois même en cachette, par la police et le Ministère public, cela en partie en raison de son fichage abusif en raison de ses engagements politiques.
Jérémy a initialement été identifié sur la base d’images vidéos fourniers pas une entreprise privée, qui filmait le domaine public sans autorisation et surtout sans que les passant·es soient informé·es de la présence d’une caméra. Ces images étaient donc illégales et auraient dû être immédiatement écartées du dossier, au contraire elles ont servi pour identifier l’activiste, puis le convoquer pour une audition.
Sur cette base Jérémy a été convoqué pour la commission d’un tag sur le mur d’un centre commercial. Il ressort du dossier que l’auteur est un tiers et qu’il était simplement présent sur les lieux, avant la commission du tag, visage découvert, les mains dans les poches. Aucun soupçon n’existe donc à son encontre. Alors qu’il fait usage de son droit au silence, à titre de représailles la police modifie son statut, l’a entendu en tant que prévu, procède même à la prise de son ADN.
Sa simple présence sur les lieux, établie sur la base des images vidéos illégales, cela avant les faits, suffit au Ministère public pour le condamner pour « dommages à la propriété » à une peine de 30 jours amende avec sursis, contre laquelle il forme opposition.
Alors que l’instruction pour le tag est officiellement terminée et qu’aucune trace génétique n’a été saisie sur les lieux, le Ministère public ordonne quand même l’établissement du profil ADN de Jérémy et son inscription dans le registre national. Cette décision est grossièrement illégale, puisque l’ADN est inutile pour la procédure, que les faits reprochés ne sont absolument pas graves et que la personne visée est un jeune étudiant sans antécédent. Cette décision ne peut s’expliquer que par une volonté du Ministère public de disposer de l’ADN des personnes soupçonnées d’infractions à mobile politique, même de très faible gravité.
La décision d’établir l’ADN ne contient d’ailleurs aucune motivation, a été signée par un Procureur membre d’un parti d’extrême droite et qui n’était pas en charge du dossier. Cette ordonnance n’a pas été notifiée à l’avocat de Jérémy et n’a même pas été versée au dossier de la procédure, probablement dans le but de cacher au militant qu’il avait fait l’objet de ce fichage illégal. Ce n’est qu’après sa récente arrestation, soit un an après le prélèvement d’ADN, que cette la décision d’établir un profil ADN est apparue pour la première fois au dossier, sans qu’il soit possible de déterminer à quel moment et par qui elle a été rajoutée aux pièces de la procédure, ni où elle avait été gardée entre-temps.
Suite à l’incendie des véhicules sur la carrière de Holcim, une correspondance est établie entre le profil illégal d’ADN de Jérémy et une trace génétique retrouvée sur les lieux. Il s’agit là du seul élément permettant de soupçonner la présence de l’activiste au moment des faits.
Dans le rapport faisant suite à cette découverte, la police a indiqué au Ministère public « avoir pu identifier le numéro de téléphone utilisé par le prévenu », qui fait alors l’objet d’un examen rétroactif des appels et des localisations. Cela a uniquement permis de constater que, plusieurs jours avant les faits, Jérémy s’était rendu à une reprise dans la campagne genevoise, non loin de la carrière. Aucune donnée ne permet de situer l’activiste sur les lieux, au moment de l’infraction.
La connaissance par la police du numéro utilisé par Jérémy est en revanche très surprenante. Le contrat a été établi au nom d’un membre de sa famille qui ne porte pas le même nom. Ce numéro n’avait jamais été communiqué à la police par Jérémy, qui n’avait jamais officiellement fait l’objet de mesures de surveillance. Par ailleurs, en lien avec l’affaire du tag, ce numéro était utilisé depuis plusieurs mois pour communiquer avec ses avocat·es. Lorsque ces dernier·es ont demandé formellement à savoir « quand, comment et par qui » ce numéro avait été obtenu par la police, les agent·es en charge ont uniquement expliqué que ce numéro se trouvait « dans leur base de données », sans fournir plus de détails. L’obtention de ce numéro par la police, avant même l’identification de Jérémy, ne peut s’expliquer que par la mise en place par la police genevoise d’une surveillance secrète, accompagnée de la tenue d’un fichier illégal des données personnelles, visant les activistes politiques de gauche.
Sur la base de ces seuls éléments, en juin 2022 le Ministère public a émis un mandat d’amener contre Jérémy. Pour des raisons que le dossier ne permet pas de comprendre, la police a attendu neuf mois avant d’arrêter l’activiste. Jérémy a même été interpellé et identifié lors d’une action contre la spéculation immobilière, puis relâché, malgré l’existence du mandat et alors que les agent·es étaient manifestement au courant de son existence. En revanche, durant tous ces mois, alors que la même Procureure instruisait les deux procédures en parallèle, l’existence de ces nouvelles accusations n’ont jamais été communiquées à la défense de Jérémy.
L’activiste a finalement été arrêté le 15 mars 2023, puis sa détention ordonnée pour une durée initiale de trois mois en raison de « soupçons concrets » fondés sur le profil ADN prétendument retrouvé sur les lieux et la localisation de son téléphone dans les environs, à une reprise, plusieurs jours avant les faits. Sa privation de liberté est également justifiée par son choix de ne pas répondre aux questions du Ministère public, alors qu’il s’agit d’un droit fondamental.
L’emprisonnement de Jérémy se base sur un enchainement de preuves qui ont été toutes, sans exception, obtenues illégalement par la police et le Ministère public. Cette violation grossière des droits fondamentaux de l’activiste rend sa détention arbitraire et devrait justifier son immédiate mise en liberté.
Depuis la mise en détention de Jérémy, aucun témoin n’a été entendu, aucun suspect n’a été identifié, aucune audience ne s’est tenue.
Confronté à la fragilité de son dossier, le Parquet a récemment choisi de franchir un nouveau pallier. En profitant de l’absence du détenu pour un parloir familial, des gardien·nes ont fouillé sa cellule se sont emparé·es de ses cahiers de notes, que Jérémy utilisait pour préparer sa défense et où il transcrivait les comptes rendus des entretiens avec ses avocat·es. Cette mesure, jamais vue à Genève, est grossièrement illégale : aucun mandat de perquisition ni de fouille n’a été décerné par le Ministère public, aucune décision ne lui a été notifiée et personne n’a informé Jérémy que ses notes avait été saisies, aucune démarche n’a été prise pour protéger le secret des échanges avec les avocat·es. Bien au contraire, il ressort du dossier que le contenu des cahiers est désormais connu des autorités.
La prison a ensuite transmis les notes personnelles de Jérémy à la Procureure, qui en a ordonné le séquestre, sans informer Jérémy. Ce n’est que lors d’une consultation de son dossier pénal que ses avocat·es ont pu comprendre que les cahiers que Jérémy ne trouvait plus étaient désormais en main du Ministère public, avant de demander immédiatement que ces documents acquis illégalement soient mis sous scellés.
La mise en détention de Jérémy n’a pas mis un terme à la violation de ses droits fondamentaux. Les multiples alertes sur le caractère illégal de l’enquête n’ont eu aucun effet sur le traitement exceptionnel que le Ministère public genevois réserve à ce jeune activiste emprisonné.
La détention de Jérémy devrait se terminer le 15 juin 2023 mais le Ministère public peut demander sa prolongation. Le Tribunal des mesures de contrainte sera alors saisi et devra décider s’il accepte cette demande.
Genève, le 31 mai 2023