Je suis la maman de Jérémy.
Mon fils a été arrêté par la police le 15 mars 2023 dernier. Son domicile a été perquisitionné, son téléphone et son ordinateur ont été réquisitionnés, il a été emmené en garde à vue, a comparu devant le Ministère public et a été écroué à la prison de Champ-Dollon pour une détention préventive de 3 mois, soit jusqu’au 15 juin prochain. Cette sanction est reconductible.
Mon fils, comme beaucoup de jeunes et de moins jeunes aussi, est un jeune engagé, notamment en faveur de mesures de protection de la planète.
Mon fils est actuellement soupçonné d’avoir participé à l’incendie de deux véhicules légers et à l’endommagement d’un engin de chantier sur le site de la gravière de Sézegnin à Laconnex en janvier 2022, soit 15 mois avant son arrestation.
La détention provisoire, avant jugement, doit en principe être exceptionnelle et ne peut se justifier que s’il y a un risque de collusion ou un risque de fuite. Mon fils est actuellement maintenu en prison parce qu’il y aurait un risque de collusion… Vraiment ? 15 mois après les faits auxquels il est soupçonné d’avoir participé ? Et après que tout un chacun a été informé par voie de presse de son arrestation ?
J’ai appris qu’un mandat d’arrêt avait été établi à son nom depuis juin 2022, ce qui signifie que pendant 9 mois personne n’a considéré qu’il devait être arrêté malgré les soupçons qui pesaient sur sa possible participation à une action en faveur du climat, encore moins qu’il devait être incarcéré.
Depuis le 15 mars 2023, cette affaire a été médiatisée, en particulier par la cour de Justice, qui, le 13 avril, a confirmé le maintien en détention de mon fils, toujours sur la base d’un prétendu risque de collusion.
Il m’est difficile de comprendre comment on peut réaffirmer un tel risque. Tout protagoniste éventuel des faits reprochés, qui que ce soit, a depuis longtemps, eu toutes les occasions de mettre à l’abri de potentiels preuves ou indices. Et, s’il devait y avoir établissement d’une version commune entre les protagonistes, ils ont eu le temps de le faire depuis le mois de janvier 2022 !
Il m’apparaît donc assez évident que la raison du maintien en détention de mon fils ne peut qu’être autre que celle qui nous est annoncée.
Et l’idée qui s’impose à moi est que cette raison est d’ordre politique. Il ne serait pas retenu en détention pour un risque de collusion mais parce que le Ministère public semble vouloir punir de façon disproportionnée des actes militants pour faire peur et faire taire.
On se servirait donc de mon fils pour mettre en place des mesures de rétorsion contre un mouvement de résistance climatique, pour établir un dispositif de menaces contre des militant.e.s qui se heurtent à l’inefficacité des moyens de lutte contre la dégradation de notre planète.
Aujourd’hui, je crains qu’on se serve de mon fils pour faire plier un mouvement collectif.
En individualisant la punition, quitte à basculer dans l’arbitraire, on veut faire peser une menace permanente sur l’ensemble de ces mouvements collectifs.
Ce faisant, il me semble que la justice risque de se perdre en se trompant radicalement de cible. Et mon fils et toute sa famille en paient déjà lourdement les conséquences.
Aujourd’hui déjà, la justice joue avec la vie et le sort d’un jeune homme honorable.
Jérémy se retrouve incarcéré dans une prison dont les conditions de détention sont les pires et qui sont dénoncées depuis des années. Comme s’il était une menace pour cette société qui l’enferme. Il n’en est rien, évidemment, et cela ne fait que renforcer la rage que je dois contenir à l’exposition et à la justification de cet arbitraire qui ne coûte rien à ceux et à celles qui le mettent en œuvre mais dont les retombées individuelles sont terribles, insupportables et d’une violence extrême. Et l’individu sur lequel elles s’abattent, c’est mon fils adoré.
Depuis sa mise en détention, j’ai découvert avec effroi le monde carcéral, caractérisé par la surpopulation, la saleté, la promiscuité, la perte de dignité, la folie qui s’immisce dans le quotidien, les communications avec l’extérieur complètement empêchées. Notre société doit-elle vraiment en arriver là pour faire taire sa jeunesse préoccupée par l’avenir de la planète ? Doit-on vraiment, en plus de les priver de liberté, réduire ces femmes et ces hommes au statut de pions sans aucune valeur ?
Et dire que tout cela se fait en notre nom !
Mais moi, sa mère, pas plus que ses proches, nous ne nous laisserons pas abattre. Je refuse de sacrifier mon fils a un projet politique répressif et cela par ce système qui est prêt à jouer avec la liberté d’un jeune homme dont tout le monde vous dira du bien, comme si c’était si peu de choses…
Et même si la tentation à la résignation est parfois présente, donnez-moi une raison valable d’infliger un tel traitement et une telle mesure judiciaire a un jeune de 23 ans, qui manque à ses parents, à ses soeurs, à tous ses amis et toutes ses amies, qui se voit privé de ses liens, de son présent et déjà d’une partie de son avenir, un jeune de 23 ans brillant en études, engagé pour le bien commun et qu’on met aujourd’hui dans un train à destination de nulle part…
J’ai peur pour mon fils et face à l’absurdité de la situation, je n’ai pas le choix et je sais qu’immense est et sera le pouvoir des mères dans cette affaire. Je suis prête à mener une lutte d’amour parce que nous ne pouvons qu’espérer un monde plus juste et meilleur pour tous nos enfants…
La maman de Jeremy – le 7 mai 2023